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CHAPITRE 1

De Lens
à Achicourt

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Portrait d’Émile Constant Bracq, 
père fondateur de l’usine Bracq-Laurent

en 1879.

Quand il est né, l’entreprise Bracq-Laurent avait déjà traversé plus d’un demi-siècle d’épreuves et de réussites. Elle a marqué toute son enfance et toute sa vie professionnelle. Pierre Bracq, qui assura la direction technique de l’usine de 1956 à 1987, revient sur les grandes étapes de cette belle aventure industrielle et humaine commencée en 1879 à Lens et qui s’est achevée le 31 mars 1987 à Achicourt. Les deux Émile, son grand-père et son père, ainsi que son frère Michel ne sont jamais bien loin…

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Monde Illustré

Ci-dessus :

Toutes les archives ayant été détruites, il n’existe aucune trace écrite de la période Bracq-Laurent à Lens, sauf cette page 54 du Monde Illustré du 24 juin 1922.
Le magazine était ce jour-là entièrement dédié à la reconstitution industrielle du Pas-de-Calais, après la Première Guerre mondiale.

Dans la mémoire collective, le nom de Bracq-Laurent est indissociable de celui d’Achicourt. Pourtant l’entreprise est née et s’est développée à Lens à la fin du XIXe siècle….

Pierre Bracq : Mon grand-père Émile fonde en effet les Établissements Bracq-Laurent à Lens, en 1879. Comme cela se pratique à l’époque, il accole à son nom celui de son épouse, Laurent, pour créer son enseigne. Les 5 400 m2 de l’usine lensoise étaient alors reliés, par un embranchement particulier, aux voies de la Compagnie de chemins de fer du nord, que desservait une locomotive-grue électrique. Très en pointe pour son époque, Bracq-Laurent compte alors quatre ateliers : construction mécanique, chaudronnerie, aciérie au convertisseur et bien sûr une fonderie de fonte où l’on coulait des pièces pouvant peser jusqu’à 20 tonnes. Très vite, l’entreprise se spécialisa dans la fabrication de grosses pièces ou de fours à griller les pyrites dont ceux inventés par Émile Bracq. La société réalisa même plusieurs installations complètes d’usines d’acide sulfurique et de superphosphates.

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Émile Constant Bracq aux côtés de sa famille. Près de lui son épouse, née Marie-Adélaïde Laurent,
et de gauche à droite leurs enfants. Debout: Eugénie, Nelly, Simone, Émile. Dans “la carriole à biquette”: Madeleine et Paul, les deux plus jeunes. Photographie prise vers 1907 dans le jardin de la maison familiale à Lens.

Que reste-t-il de cette époque?

Pierre Bracq : Rien, hormis la rue Bracq à Lens, une page complète dans Le Monde Illustré du 24 juin 1922 (voir page du Monde Illustré) ou des bollards signés “Bracq-Laurent Lens”, toujours visibles sur certains quais du port de Dunkerque. Quant aux bâtiments, aux matériels, aux archives… tout a été détruit lors des bombardements et des pillages de l’ennemi, dès le début de la Première Guerre mondiale. L’usine trouva alors refuge à Meulan en Seine-et-Oise, entre 1917 et 1919. Avec qui et pour y faire quoi, je ne sais hélas rien de précis de ce transfert.

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Ci-dessus :
Cette carte postale lugubre est le seul document visuel évoquant Bracq-Laurent à Lens, ville dévastée lors de la Première Guerre mondiale.
On y voit de nombreux “visiteurs” fouillant dans les décombres de l’usine.

Puis vint l’installation à Achicourt dans les années 1920…

Pierre Bracq : Plus que le changement de lieu, c’est le changement d’échelle qui est alors remarquable. Mon grand-père acquiert un site de 70 000 m2 sur lequel il fait construire, entre 1922 et 1924, 18 000 m2 de bâtiments considérés à l’époque comme ultra modernes. La première coulée a lieu en 1924. Deux ans plus tard, coup dur pour Bracq-Laurent, Émile Bracq décède à la veille de Noël. L’aîné de ses fils, mon père, qui porte le même prénom, prend les rênes de l’entreprise. Ingénieur des travaux publics, il était sans doute plus taillé pour cette responsabilité que son frère Paul, artiste dans l’âme… Sous la houlette d’Émile Bracq fils, l’usine parvient à surmonter l’épreuve et à vivre ensuite une formidable épopée. Entre les deux guerres, il fallait produire, produire et encore produire. Dans tous les secteurs industriels, les clients ont alors d’énormes besoins. Inutile à l’époque de bâtir des stratégies marketing ! Le bouche à oreille suffit pour faire connaître la qualité des services et des fabrications de Bracq-Laurent.

Les bombardements de 1940 furent une autre épreuve?


Pierre Bracq : Proche de la gare d’Arras qui était une cible, l’usine a subi de gros dégâts lors des bombardements du début de la guerre. Elle fut même occupée par les troupes allemandes qui pillèrent les magasins et les outillages, brûlèrent des modèles de fonderie en bois, réquisitionnèrent des machines pour les emmener dans un atelier d’entretien militaire à Calais. Puis les bureaux, les toitures, les verrières s’effondrèrent sous les bombes anglaises en 1944. On se demande vraiment comment l’usine a pu survivre à de telles épreuves au milieu des pénuries et restrictions de toutes natures, et sous la botte de l’occupant.

Comment l’entreprise parvient-elle à repartir?


Pierre Bracq : La France se reconstruit après 1945. L’industrie repart, le BTP s’envole. Le travail revient. Avec la forte demande de matériels pour le traitement des eaux des cités nouvelles ou le développement des voies navigables et des zones portuaires, Bracq-Laurent s’affirme progressivement comme constructeur d’équipements hydrauliques. Tout en continuant bien sûr à travailler pour ses clients traditionnels notamment ceux de l’industrie chimique, l’usine diversifie ses activités vers la fin des années 1950. Elle se spécialise peu à peu dans les équipements pour les sites nucléaires, tels les blindages de protection biologique. L’industrie automobile et la verrerie viendront un peu plus tard élargir la clientèle.

Pourquoi l’année 1959 fut-elle une année très importante pour l’entreprise et pour vous ?


Pierre Bracq : Après plusieurs années d’études d’ingénieur, un passage à l’usine, et un long séjour sous les drapeaux, je reprends mon poste à la direction technique. Entre temps, mon père avait cédé le fauteuil de PDG à mon frère aîné Michel, et allait peu à peu s’écarter de l’usine à mesure que sa santé se dégradait. Il décèdera fin 1978. À partir des années 1960, mon frère et moi lançons une longue campagne de modernisation du site. L’usine emprunte pour la première fois, et les banques nous suivent. Nous engageons des investissements afin de développer la chaudronnerie, d’équiper la fonderie et la mécanique de machines plus performantes. Sans compter l’informatisation de la comptabilité et la mise en place de méthodes plus analytiques et performantes. Toute cette période fut aussi valorisante pour le personnel qui joua bien le jeu en s’adaptant aux nouvelles techniques et procédures. À noter que le calendrier de remboursement des emprunts fut respecté.

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Ci-dessus et ci-dessous à gauche : Couverture d’une plaquette de présentation des fours à pyrites et page d’un carnet dans lequel Émile Bracq consignait notes, calculs et croquis manuscrits, définissant “les raisons qui ont prévalu pour l’établissement de certains éléments du four…”

Ci-dessus à droite : Ils n’ont pas fait la fortune de l’entreprise, mais ont peut-être permis d’améliorer un peu l’ordinaire des familles des environs : ces petits moulins à blé en fonte fabriqués par l’usine Bracq-Laurent pendant la dernière guerre. On peut encore en voir au moulin de la Tourelle d’Achicourt.

Et les dernières années de l’entreprise ?


Pierre Bracq :  À partir des années 1970, nous nous soucions de plus en plus de la pérennité de l’entreprise. Dans cette perspective, nous faisons appel au service juridique et fiscal du syndicat des fondeurs pour réaliser un audit approfondi de Bracq-Laurent. Conclusions : les moyens et les structures sont bien adaptés aux besoins, les frais de fabrication sont dans la norme de la profession, mais l’équilibre financier reste fragile. Seule solution pour perdurer: rechercher un repreneur ou un partenaire. Après diverses tentatives infructueuses, un rendez-vous a lieu au siège du Syndicat àParis où nous rencontrons un personnage qui occupe des fonctions de direction dans une entreprise similaire à la nôtre, mais de plus petite taille. Il se dit intéressé par un partenariat avec Bracq-Laurent. Un protocole est signé en 1976 qui aboutit à la création d’une nouvelle société d’exploitation dont il prend la direction. Ce “mariage de raison” a au moins l’avantage de calmer les inquiétudes des banquiers pendant quelque temps. Mais au fil des années l’atmosphère se dégrade, avec la mise en place d’un népotisme grandissant, et qui conduit à écarter peu à peu les responsables de postes clés. Par exemple, en comptabilité, au service achat, jusqu’au chef d’atelier de mécanique, et y compris mon frère Michel. Le brouillard envahit progressivement les comptes de l’entreprise et la visibilité. En avril 1986, le couperet tombe. On m’informe que Bracq-Laurent est placé en redressement judiciaire.Les licenciements vont se succéder jusqu’à la fin de l’année. Le 31 décembre 1986, le dernier jugement du tribunal prononce la liquidation de l’entreprise, avec prolongation d’activité jusque fin mars 1987 pour, je cite, “…terminer les travaux en cours…”. Dont acte.

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