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CHAPITRE 5

Après la fermeture

de l'usine

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Ci-dessus :

Ce réservoir à eau, très symbolique des activités de l’usine Bracq-Laurent, était alimenté par un forage situé à 45 mètres de profondeur. Ce liquide servait notamment aux essais hydrauliques sur les pompes et vannes fabriquées à Achicourt.

© Jean-Yves Beaumont

Après plus d’un siècle d’une vie durant laquelle l’honnêteté, le courage et l’obstination de tous ses membres avaient permis de surmonter les pires embûches, des événements et des hommes ont mis fin à BRACQ-LAURENT. Était-ce là le sort inéluctable commun à tout organisme vivant qui, dès sa naissance, porte en lui-même sa propre mort ?

Durant ces décennies, le renom de notre entreprise s’est forgé grâce à la compétence et au dévouement de tout son personnel, ancien et présent, et à la valeur des relations qui s’établissaient à chaque instant, tant à l’intérieur que vers l’extérieur, et qui nous valait l’admiration et le respect de tous ceux qui nous ont connus.

Au nom de tous les miens, et en mon nom personnel, je tiens à exprimer à chacun d’entre vous ma plus profonde gratitude pour la qualité des services que vous n’avez cessé de rendre tout au long de votre activité, et pour la dignité exemplaire dont vous avez fait preuve au cours de ces derniers et douloureux instants.

 

Plus que des rancoeurs et des regrets, j’espère que chacun de nous ne gardera en mémoire que le souvenir des moments de satisfaction et de fierté que nous a procuré le partage en commun de notre dur et passionnant métier au sein de BRACQ-LAURENT.

 

Je souhaite sincèrement, pour vous-mêmes et vos familles, qu’il vous soit possible de continuer d’exercer votre profession avec le même souci de conscience que celui qui vous a animé jusqu’ici.

 

Achicourt, le 27 mars 1987,

Pierre Bracq

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27 mars 1987: C’en est terminé de Bracq-Laurent.

Cette fabuleuse aventure industrielle aura duré près de 110 ans.  Dans un communiqué, Monsieur Pierre s’adresse une dernière fois, non sans émotion, à tous les membres du personnel de l’usine.

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Ci-dessus :

L’ensemble du site Bracq-Laurent (extensions comprises) n’est qu’une friche industrielle en 1995.

© Mairie d’Achicourt

Vingt-cinq ans plus tard, quel souvenir gardez-vous de la période qui a suivi la fermeture de l’usine ?

Pierre Bracq : Ce vendredi noir du 27 mars 1987, une cinquantaine de personnes s’activent encore dans les ateliers et les bureaux, comme une bande de canards auxquels on aurait coupé la tête. Chacun sait qu’il fait partie de la dernière charrette des condamnés qui, dans quelques heures, les conduira inexorablement vers la fin de l’aventure Bracq-Laurent. Mais pour l’heure, il faut encore charger les camions du matériel restant à livrer aux ultimes clients. En fin de journée, nous sommes plusieurs à nous réunir autour d’un dernier pot, mais le coeur n’y est pas… Pour ma part, au-delà de la douleur et du sentiment de profonde injustice, je prends de plus en plus conscience de l’effroyable gâchis humain que nous subissons depuis plusieurs mois et de la réduction à néant de la somme incalculable de compétences et de savoir faire accumulés depuis des décennies, que rien ne remplacera jamais. Et je ne peux m’empêcher de me remémorer la promesse que m’avait faite notre associé vingt ans auparavant : « Pierre, faites-moi de la bonne technique, je vous ferai de la bonne finance! »

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Ci-dessus :

Bâtiment situé à l’entrée des Ets Bracq-Laurent où pointait chaque jour le personnel. L’arrière abritait les douches et les vestiaires. 
À l’étage, un logement de fonction.

© Jean-Yves Beaumont

Quelles en furent les conséquences pour la famille Bracq ?

Pierre Bracq : Pour mon frère Michel (qui avait été mis à l’écart bien avant la fermeture puis abusivement licencié) et pour moi-même, la réponse est simple : nous perdions notre emploi, notre capital, tout notre patrimoine, en échange d’une maigre préretraite, en abandonnant tout espoir de reclassement.

Pourquoi le « site Bracq », comme on l’appelait alors, est-il resté en friche pendant plus de 20 ans ?

Pierre Bracq : Au gâchis humain va s’ajouter un autre gâchis, financier et matériel. La vente aux enchères de tout le matériel de Bracq-Laurent, des bureaux aux ateliers, mobilier, machines, ferrailles, etc. aura lieu en septembre 1987. En 1989, changement d’équipe municipale. Tous les candidats ont inscrit dans leur programme la « réhabilitation du site Bracq-Laurent ». Pendant des années, la nouvelle municipalité va échafauder en vain de nombreux projets et tenter d’attirer des investisseurs et des emplois vers le site. Les années passent. Squatters, tagueurs, casseurs, ou incendiaires, ont pris possession des lieux.

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Ci-dessus :

Sur la façade du bâtiment de 150 mètres de long, visible de tous les voyageurs de la ligne ferroviaire Paris-Lille, un morceau de l’enseigne de

l’usine…
© Jean-Yves Beaumont

On a parlé de problèmes de pollution. Qu’en était-il exactement ?

Pierre Bracq : En juin 1995, la préfecture adresse à Bracq-Laurent un arrêté déclarant le site comme « présentant un risque de pollution », mettant en demeure de faire procéder à des expertises par des entreprises agréées, et de faire remettre le site en état si nécessaire. Après plusieurs mois d’interrogations et d’incertitudes, mon frère et moi rencontrons la Direction Régionale de l’Industrie, de la Recherche et de l’Environnement qui nous fait clairement comprendre que la machine administrative est en marche, et que rien ne l’arrêtera, hormis les obligations de l’arrêté. Nous prenons l’initiative de résoudre ce nouveau problème, et de lancer un appel d’offres auprès de plusieurs sociétés spécialisées. Devis en main, nous partons à la chasse aux subsides.Un contact avec le liquidateur nous fait savoir qu’il ne dispose pas des fonds, et qu’il contestera et refusera l’arrêté préfectoral. Des aides sollicitées en mairie et en préfecture reçoivent une fin de non recevoir. Pour débloquer la situation, et en dernier ressort, « les frères Bracq » assureront seuls et intégralement le suivi et le financement des expertises, qui, après plusieurs années, concluront à l’absence de pollution. Que serait-il advenu de la friche sans cette action ?

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Ci-dessus :

L'ancienne tréfilerie transformée en magasin de stockage de modèle dans les dernières années de l'Usine.. une image à l'heure de la démolition.

Ironie du sot ? Le contrepoids de la pelleteuse LIEBHERR etait issue en grande partie de notre usine.

Le grand modèle vert au premier plan n'est autre que celui des pompes d'Annaba.

Comment réagissez-vous quand les engins de démolition arrivent sur le site en 2003?

Pierre Bracq : Désormais, l’Établissement Public Foncier est chargé de la requalification du site. La ronde des pelleteuses et des camions peut commencer. Les premiers bâtiments à disparaître seront les bureaux, dont les sous-sols serviront de sépulture aux archives et aux plans. Durant toute la démolition, nombreux sont ceux qui sont venus assister au triste spectacle, curieux, sympathisants, ou anciens membres du personnel. Les images parlent d’elles-mêmes, mais ne montreront pas les larmes discrètement versées dans la poussière des engins. À l’été 2003, tout a disparu. Plus facile de détruire que de construire.

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Ci-dessus :

Avril 2003, les dernières traces d’un riche passé industriel disparaissent d’Achicourt. Après la fermeture de l’usine en 1987, le quotidien 
La Voix du Nord évoque une seconde mort de Bracq-Laurent…

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Et qu’est-il advenu ensuite ?

Pierre Bracq : La première pierre de l’EHPAD (établissement d’hébergement des personnes âgées dépendantes), programmé depuis plusieurs années, est posée en janvier 2007. C’est vers la fin de 2008 que la municipalité me propose de réaliser une exposition à la mémoire de Bracq-Laurent, et qui pourrait se dérouler à la Salle des Fêtes à l’occasion de l’inauguration de cet établissement prévue début 2009. J’adhère immédiatement à ce projet, sans trop mesurer la dimension du travail qui allait m’attendre. L’EHPAD a effectivement ouvert ses portes en 2009, mais, heureusement pour moi, son inauguration fut reportée, ce qui me permettra de peaufiner la préparation de l’exposition.

Ci-dessus :

Il aura passé de longues années à veiller avec énergie au bon fonctionnement des ateliers. Pierre Bracq assiste là, impuissant, aux ultimes travaux qui vont engloutir l’usine.

© Collection personnelle Norbert François

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Ci-dessus :

Présence de 300 visiteurs le jour du vernissage le 16 avril 2010.

© Mairie d’Achicourt

Que vous ont apporté la préparation et la réalisation de l’exposition Bracq-Laurent ?

Pierre Bracq : Comme je l’ai indiqué dans la préface de cet ouvrage, la longueur de cette préparation, les rencontres et découvertes qu’elle m’a permis de faire, son grand succès et les retrouvailles qu’elle a occasionnées, ont été pour moi la meilleure des récompenses, d’autant plus grande qu’elle fut largement partagée avec tous les anciens membres du personnel et l’ensemble des visiteurs, sans exception. L’exposition fut inaugurée le 16 avril 2010 et se termina le 20. Lorsque la fête fut finie et les derniers lampions éteints apparut ce que j’appellerai « le syndrome du lendemain ». Plusieurs amis m’avaient suggéré de prolonger ces moments et de rassembler ces morceaux de mémoire dans un livre. Cette idée fit peu à peu son chemin, et, grâce à toute l’équipe des éditions Degeorge, elle est aujourd’hui entrée dans la réalité, pour ma plus grande satisfaction.

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© Philippe Frutier / Altimage

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En forme de marguerite jaune, l’EHPAD (Établissement d’Hébergement pour Personnes Âgées Dépendantes), “Les Jardins du Crinchon”

représentée dans ce qu’était auparavant l’usine.

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